Le 12 septembre, après avoir bien retrouvé amis et famille, dormi dans des lits moelleux et lavé toutes nos affaires, nous voici réunis avec Luciole, direction l’Angleterre. Juste à temps pour aller assister aux funérailles de Queen Elisabeth II !


Le capitaine a fait les démarches administratives, a planifié la navigation - a vérifié et re re vérifié les horaires des courants - les cales sont pleines, on part ! Mais très vite l’équipage est à plat et personne ne se sent de faire une grosse navigation jusqu’au milieu de la nuit. Plutôt que d’aller directement en Angleterre, l’étape sera donc raccourcie direction Boulogne-sur-Mer, sous un crachin délicieux. Dans le port presque vide, comme pour apaiser notre déception, nous nous retrouvons amarrés à côté de Ptit Su, un voilier de Caen croisé sur l’eau à la sortie de l’écluse du canal de Kiel, avec qui nous avions échangé quelques mots hurlant de pont à pont ! S’en suit une soirée à bord de leur bateau qui, de l’intérieur, ressemble à une petite maison bretonne. Ses habitants : Marie, Manu et le petit Joseph de 3 ans qui a vécu presque toute sa vie à bord. Eux sont allés jusqu’en Norvège. Au détour de la conversation on se rend compte que le seul autre voilier français qu’ils aient croisé cet été est celui de Soizic et Thomas : peut-être que nos trois équipages étaient les seuls en baltiques ?


Pas le temps de s’attarder dans cette ville, nous prenons la mer, juste avant le lever du soleil, pour - enfin - traverser la Manche.


Cette traversée était symbolique pour nous mais la réalité nous a vite rattrapés. On aurait aimé raconter ici que la navigation, bien que pluvieuse, a été rapide et grisante. Mais elle a surtout été marquée par la rencontre nez-à-nez avec un zodiac de migrants (vide de ses occupants), en plein milieu du chenal des cargos. Ceux qui, sans plus aucun espoir, ont tenté de traverser la Manche à son bord, ont du être secouru par les sauveteurs en mer. C’est ce qu’on espère en scrutant pendant de très longues minutes la surface de l’eau, « au cas où » nous verrions quelqu’un ou quelque chose. La mer est gonflée, et il est impossible d’imaginer l’enfer que d’être sur ces minuscules embarcations, au milieu des vagues et des cargos. Nous sommes là, nous, pour notre plaisir, équipés, sécurisés, n’ayant eu besoin que de remplir un formulaire administratif en ligne pour obtenir l’accord de traverser la mer : des grands privilégiés…


Nous ne voulions pas raconter cela comme une anecdote du voyage. Que pouvons-nous faire ? Nous, pas grand chose, la seule réponse dans l’immédiat est de soutenir et financer ceux qui font. Alors nous partageons avec vous deux associations, qui nous paraissent essentielles et reposent en grande partie sur des dons de particuliers : SOS Méditerranée qui sauve des milliers des vie et la SNSM, les sauveteurs en mer, tous et toutes bénévoles (par ailleurs, ce sont ces derniers qui viendraient nous sauver les fesses si quelque chose tournait mal pour Luciole). Si le cœur et vos possibilités vous le permettent, vous retrouverez toutes les informations en cliquant sur les liens pour effectuer des dons (pour la SNSM, vous pouvez sélectionner la station SNSM de Dunkerque par exemple).


Difficile d’enchaîner après ça ma grande n’est-ce pas ? Je vais essayer tout de même :)


Le but de ce séjour en Angleterre, c’est de rejoindre le Solent, ce petit bras de mer entre le Royaume Uni et l’île de Wight. Haut lieu du yachting anglais, cette région on l’a vu des dizaines de fois devant des reportages de voile. C’est notamment de Cowes que part la mythique course du Fastnet.


Longeant les falaises blanches, répliques de leurs voisines d’en face normandes, on découvre les marinas anglaises qui tiennent leurs promesses (privées - merci Thatcher - elles sont horriblement chères, mais aussi très bien équipées et parfaitement propres). Après une escale à Eastbourne, nous arrivons à Brighton. Dans le bus qui nous achemine au centre ville, on grimpe au deuxième étage, et tout devant pour l’expérience anglaise parfaite ! Ambiance fin d’été joyeuse et ensoleillée sur son immense ponton fête-foraine, le long de son front de mer et de ses ruelles qui rappellent le Camden Market londonien.


La météo nous presse un peu : encore un jour de bon vent avant une semaine TRÈS CALME. Alors en route direction Portsmouth. À l’arrivée dans le Solent on expérimente la fameuse mauvaise équation vent contre courant = des vagues qui surgissent d’un seul coup et bien dynamiques ! On n’est pas arrivés dans cette baie pour faire de la navigation de marins d’eau douce ! Ce sera donc un peu sportif (dans le très bon sens du terme) de rejoindre le port de Gosport (oui, c’est une véritable ville jouxtant Portsmouth, pas un magasin d’articles de sport). L’entrée sera par contre laborieuse : arrivés juste au pire moment de la marée, nous prenons un courant face à nous très fort (mais dans une mer docile et très calme). Les derniers petits miles se feront au moteur, à l’allure d’un escargot ayant pris un tapis roulant en sens inverse, à profiter d’un joli soleil couchant sur le Solent.


Le coeur de la visite de Portsmouth est son Historic Dockyard : un port-musée regroupant des navires mythiques parfaitement conservés. À travers nos audio-guides, nous revivons la bataille de Trafalgar en visitant le navire HMS Victory de l’Amiral Nelson. Ça filait droit à l’époque des batailles navales, et ces français - nombreux mais si désorganisés - en prennent pour leur grade tout au long de la visite.


Notre semaine dans le Solent ne sera pas marquée par de folles navigations, le vent a pris des vacances lui aussi. Deux jours dans la jolie ville de Cowes avec notamment les royales funérailles : les anglais croisés au ponton sont très heureux d’avoir un jour férié pour naviguer ! Mais tout de même entre 10h et 12h, tout le monde sera devant son écran, dans son bateau à regarder la cérémonie - nous inclus - alors que tous les commerces (même les pubs !) sont fermés. Un détour par l’embouchure de la Beaulieu River, un petit port perdu en pleine campagne au milieu d’une réserve d’oiseaux, pour finir notre séjour à Yarmouth où nous partirons découvrir l’île de Wight à pied pour une randonnée direction les mythiques falaises surnommées Needles.


Avant de repartir, on n’oublie évidemment pas de cocher toutes les cases de la sainte triade : breakfast, fish&chips et tea-time autour de scones au beurre. De ces 10 jours, nous retiendrons aussi : que les anglais sont fous de leurs chiens, de nombreux restaurants proposent des menus pour les dogs (avec bière et ice-cream spéciales chiens), qu’il est important d’être au pub tous les soirs à 18h (nous nous y tiendrons) et que croiser au port des marins fêtant un anniversaire, c’est entendre des chants alcoolisés toute la nuit !


Au moment de retraverser direction Cherbourg, nous sentons qu’il commence à être temps de rentrer et que nos esprits commencent déjà à penser à la maison et la reprise de la vie « normale ». Il n’y a aucun bateau étranger sur les pontons, les vacances sont finies, on remballe !


Et cette traversée alors ? Ha, et bien après avoir longé les magnifiques falaises s’en sont suivie quelques longues heures avec un vent arrière assez faible, dans des vagues nous secouant gentiment dans tous les sens : on atteindra les eaux françaises aidés de notre moteur, avant de changer très vite d’ambiance à la nuit tombée. Nous prenons un ris, puis rapidement le deuxième : des rafales à plus de 30 noeuds, et des grandes vagues arrière : Luciole arrive tout shuss dans la rade de Cherbourg que nous connaissons déjà, accueilli par l’orchestre des mats et des des drisses qui claquent dans tous les sens dans cette petite tempête au milieu de la nuit.


Au petit matin, nous découvrons sur le ponton visiteurs des voisins scandinaves aux pavillons qui nous réchauffent le coeur : un finlandais, deux suédois, un danois, un polonais et au moins trois allemands sont amarrés dans le port de Cherbourg. La mer Baltique se rappelle à nous alors que nous nous rapprochons de l’arrivée à grands pas.


Nous partons le jour même vers Saint-Vaast-la-Hougue pour laisser passer deux jours de vents forts dans ce joli village plutôt qu’à Cherbourg. Ce trajet n’est pas le plus simple, il faut passer le raz de Barfleur (ces passages de cap, comme pour l’épisode d’arrivée au Solent, sont très susceptibles aux courants de marée puissants et aux vents, ils peuvent se déchainer très vite. Rappelez-vous : jamais vent contre courant). Pourtant déjà emprunté plusieurs fois sans problème, et alors que les conditions de vent ne nous présageaient pas du mauvais, la mer s’agite, bouillonne, se lève et Luciole claque violemment dans des vagues de face, déferlants dans tous les sens. Un trajet court (heureusement) car il restera certainement comme le plus désagréable du voyage. Nous sommes bel et bien dans la mer Manche ! Et elle a décidé de nous rappeler ses fondamentaux, pour nous montrer que la balade en mer Baltique et bien loin derrière nous et que la bamboche, c’est fini !


Depuis deux jours, nous sommes donc bien arrivés en automne, à Saint-Vaast. Les occupations à bord - entre deux balades Cotentines - préparent la fin : réserver notre emplacement dans notre nouveau port d’attache, notre dévolu se portera finalement sur Le Havre, sortir de nos applications de navigation quelques données pour faire un bilan chiffré du voyage (à venir sur le blog), et organiser le voyage Le Havre > Pantin avec les parents d’Antoine qui viendront nous chercher en voiture pour nous aider avec tout ce que nous avons amassé de 5 mois dans notre barque.


Demain matin, emmitouflés de cirés et de bottes, Luciole partira traverser la baie de Seine - déjà arpenté de long en large - pour rejoindre sa nouvelle maison. Et nous, on est partagés entre la hâte de retrouver notre appartement chéri, le confort et nos amis et la mélancolie de devoir refermer - pour l’instant - cette bulle merveilleuse, hors des sentiers battus du quotidien qu’on s’est offerte.


Mais pour l’instant, l’heure n’est pas encore au bilan, on consacrera un dernier article pour ça ! Pour l’instant, c’est surtout l’heure de faire chauffer une dernière soupe en brique, sortir les plaids et de savourer cette dernière soirée de voyage, dans le ventre de notre bateau-maison adoré.