La mer Baltique ne se laisse pas quitter aussi simplement que cela...


Déjà, elle ne voulait plus nous ouvrir sa porte de sortie ! Au petit matin suivant notre dernier épisode, nous avons du attendre quelques 4h devant la porte de l’écluse pour enfin entrer dans le canal de Kiel. Quatre heures à faire des ronds dans l’eau, au milieu d'un troupeau d’une quarantaine de voiliers - et même si la patience est une qualité essentielle au marin, elle a tout de même des limites. Après avoir vu des dizaines de paquebots et cargos entrer et sortir des écluses (ils ont la priorité sur nous, et sont nombreux), la signalisation lumineuse blanche qui signifie aux plaisanciers « c’est votre tour maintenant, vous pouvez vous avancer » s’est enfin allumée, libération générale à entendre des cris de soulagement en provenance des voiliers.


Nous on s’en fiche, un peu, on ne doit pas aller bien loin dans le canal ce jour là. La veille, un petit détour nous a été proposé par Klaus et Maren « Pendant votre traversée du canal, arrêtez vous à Rensburg, prenez un train direction Flensburg : samedi soir on fête l’anniversaire de Klaus. Vous dormirez dans notre bateau Pust et le lendemain on ira naviguer dessus ». Nous n’avions pas vraiment le choix que d’accepter cette invitation, et de retourner faire un tour en Baltique !


[Précision : Pendant tout le voyage, nous avons rencontré de nombreux allemands nous parlant avec émotion de leur « Folkboat » - un voilier en bois de 7,68m dessiné en 1942 -, en général leur premier voilier, vendu, avec regret, quand ils ont eu besoin de plus grand pour voyager ou accueillir des enfants. Pour nous, ce bateau est devenu un petite légende au fil des histoires entendues. Klaus et Maren, eux, quand il s’est agit d’avoir un bateau plus grand (Ø), ne se sont pas résignés à vendre Pust, leur folkboat, et l’ont gardé.]


Ni une ni deux, nous avons amarré Luciole dans le canal, rejoint la fête, dormi sur le petit bateau, et avons gouté aux joies de la navigation si légère et si épurée du Folkboat, accueillis avec la générosité, l’humour et la simplicité de nos hôtes. Un si beau cadeau pour reprendre notre route le lendemain, avec un sentiment de complétude, et d’adieu qui n’auraient pu être plus parfaits.


Après une très grosse journée au moteur pour finir le canal et remonter dans l’embouchure de l’Elbe, l’ultime écluse passée en compagnie de Jojo, un bateau déjà croisé dans le Göta Kanal (la baltique, ce village), nous voilà de nouveau à Cuxhaven : première fois que nous retrouvons une marina connue !


Les yeux rivés sur la météo, nous avons des petites idées en tête pour le retour en mer du Nord. La première : nous aimerions secrètement être le 8 septembre à Dunkerque, pouvoir sauter dans un train et rejoindre nos amis pour fêter les 40 ans de notre très cher Paulin. Nous avons donc 10 jours devant nous pour redescendre un chemin effectué en 3 semaines à l’aller. La seconde idée, sportive celle-ci : nous voudrions, pour la première fois, tenter l’expérience de rester plusieurs jours et nuits en mer.


La météo semble ouvrir la porte à nos petits désirs : ce mardi matin le vent tourne et plusieurs jours de vents d’est semblent s’établir au dessus des Pays-Bas. Cette zone, c’est une des plus compliquées du voyage : si nous avons quitté une demoiselle un peu susceptible avec la mer Baltique, nous retrouvons une grande dame caractérielle en remettant notre quille en mer du Nord : qui peut s’avérer très agitée, avec de forts courants (c’est notamment pour cela que nous avons préféré l’option canaux intérieurs aux Pays-Bas à l'aller). L’autre complexité, c’est que les îles de la Frise ne sont pas très pratiques pour faire des étapes sur le trajet : les ports sont à leur sud, et inaccessibles si le courant n’est pas favorable : on ne rentre pas comme on veut ni quand on le veut, et cela suscite des détours de plusieurs heures.


Alors le capitaine calcule les marées, les courants, regarde frénétiquement les prévisions de vent, et c’est avec plusieurs options de trajets (allant de 90 à 210 miles, histoire de pouvoir choisir en cours de route), que nous quittons Cuxhaven, pour sauter à pieds joints dans la mer du Nord.


Luciole se méfiait, il avait bien noté cet échange entre son équipage, en sortant de Cuxhaven, galopant à 7 kn dans le courant de l’Elbe, au soleil couchant, quand Manon a dit « c’est fou cette fenêtre parfaite qui nous est offerte ! » et qu’Antoine à répondu « peut-être que le vent sera un peu trop fort pour être vraiment parfait ».


Effectivement, ça souffle fort. En début de soirée, avec un ris dans nos voiles, le vent d'Est, un peu trop arrière, nous oblige à tirer des bords pour longer les premières îles du trajet. Les sept empannages de la nuit nécessitent tout l’équipage sur le pont et vont dicter nos rythmes de quart, nous obligeant à ne dormir que par tranches d’une heure et demi. Au petit matin, nous tangonnons le génois (c’est à dire, contraindre notre voile avant à être à l'opposé de la Grand-voile : cela nous permet de prendre le vent beaucoup plus par l’arrière pour aller directement au cap demandé. Cela permet aussi au bateau d’être bien stable), et c’est parti pour une journée enfin sur le bon cap à grignoter toutes les îles. On voit nos options passer en décidant de continuer. Le vent est fort et on va très vite ! La vie à bord est très simple : l’un dort, l’autre barre, et parfois nous mangeons ensemble entre deux. Le gros soucis de ce trajet étant que nous devons barrer sans cesse, le pilote étant incapable de gérer ces vagues, nous essayons de capitaliser un maximum de repos.


Au dernier point météo de l’après midi, nous comprenons que nous allons avoir 3-4h très sportives avec beaucoup de vent, et c’est en sortant d’une dernière sieste que je découvre, poursuivant notre Luciole des immenses vagues. Heureusement, elles nous accompagnent parfaitement dans notre dos, glissant jusqu’à 9 kn en bas des surf (absolument du jamais vu pour nous). Le bateau, bien qu’à une vitesse folle, reste parfaitement contrôlable, nous réduisons au maximum le génois mais décidons, de manière peu académique, ne ne pas prendre notre second ris dans la grand voile : aller se mettre face au vent dans ces vagues ne donne envie à personne tant que la barre est encore souple. Après avoir contourné une plateforme pétrolière à l'allure d’immense sapin de Noël lumineux planté là, nous amorçons le virage sud-ouest des Pays-Bas. Le vent se calme, la mer dégonfle et nous dévalons la côte ouest de la Hollande accompagnés par des cargos en attente, scintillants dans le noir, au rythme de quarts de plus en plus court : la fatigue à bord à devoir barrer est bien présente et il devient difficile d’enchaîner plus d’une heure concentrés.


Nous arrivons à Ijmuiden avec 10 heures d’avance sur nos prévisions, et, au moment de la mise à jour de notre position sur le blog, le petit tracé qui nous sépare de Cuxhaven quitté il y a 38h nous parait bien loin !


P’tit plouf nous avait prévenu : Ijmuiden n’est pas le port le plus sympathique du monde, mais son immense plage de sable blanc et la journée d’été qui nous accueillent rechargent les batteries d’un équipage un peu fatigué. En fin de journée, nous retrouvons par hasard et avec grand plaisir, amarrés juste à coté de Luciole, Soizic, Thomas et leur petit Titouan, rencontrés à Borkum à l’aller. Arrivés par les canaux, ils sont sur le retour eux aussi, direction Ouistreham. Nous passons ensemble une joyeuse soirée à échanger sur nos derniers mois et tout ce que nous avons vu en Baltique.


Sur notre lancée, nous décidons de rejoindre directement la Belgique le lendemain, le vent va tourner bientôt et nous préférons avancer. Après avoir passé un des obstacles mythique de ce trajet : le chenal de Rotterdam et le balai incessant des géants des mer en plein courant, le vent tombe et les quarts de nuit consisteront à surveiller que le moteur et le pilote automatique font bien leurs métiers, et qu’aucun obstacle n’est sur notre route. L’arrivée à Ostende, dans une nuit sans lune, se fera sur une mer d’huile, glissant sur le plancton phosphorescent.


On aime bien avoir nos habitudes : Luciole retrouvera sa place quittée le 27 mai dernier dans le Royal Yacht Club. Au petit-déjeuner, tout le monde est bien embêté : nous sommes en avance sur le planning !!! 4 jours pour redescendre, on ne s’y attendait pas à celle-là ! On a l’impression d’un joli petit coup de bluff, et ça laisse du temps pour planifier la suite, car ne croyez surtout pas que nous sommes en train de rejoindre tranquillement notre Normandie comme nous l’avons quitté, en longeant la côte !


En effet, il y a un autre rêve, encore plus ancien celui-ci - maintes fois tenté, jamais réalisé (merci le covid) - qui nous semble à portée de main : traverser La Manche et aller se balader sur la côte sud de l’Angleterre. Alors depuis quelques jours, on a ré-ouvert des dizaines d’onglets sur nos ordinateurs et ce sont les mots de Brighton, Solent, île de Wight, Cornouailles, Plymouth, formulaire C1331 (ou la demande d’autorisation pour accoster au Royaume-Uni) qui arrivent aux oreilles de Luciole.


En attendant les fish&chips et les pubs anglais, le petit point bleu s’est arrêté au Yacht Club de la mer du Nord à Dunkerque où nous avons laissé Luciole profiter d’un grand week-end de repos (mérité!) pour retrouver, par les voies terrestres, la famille Courmont avant de rejoindre nos amis.


Et à en croire la rumeur qui court, le vent tournerait en notre faveur à notre retour dimanche prochain, pour nous pousser de l’autre côté de la Manche et nous laisser hisser le pavillon britannique pour ces dernières semaines de ce voyage, avant de remettre cap sur la Normandie fin septembre.